Toscane : Visite du Jardin des Tarots de Niki de Saint-Phalle
Italie - Mars 2018
Italie - Mars 2018
Ce fût le jour le plus pluvieux de ce séjour en Italie. Il fallait être fou pour rester dehors ce jour-là. Mais ce n’est pas la moindre des folies dont le Jardin des Tarots aura été le témoin, lui-même fruit de la « folie des grandeurs » de l’artiste Niki de Saint-Phalle (1930-2002).
1975. Au cours d’une randonnée, l’artiste s’ouvre à son amie Marella Caraciollo d’un projet de jardin de sculptures, qu’elle porte en elle depuis ce jour de 1955 où elle découvrit à Barcelone le parc Güell, dessiné par Antoni Gaudi (1852-1926). Niki de Saint-Phalle est depuis obsédée par l’idée de créer à son tour un « jardin du bonheur ». Née dans une famille d’aristocrates franco-américains, c’est en autodidacte qu’elle s’est formée à l’art, préférant la fréquentation des grands musées et des cathédrales européennes à celle des écoles d’art : des obstacles – s’affranchir de son milieu d’origine, trouver sa voie en tant qu’artiste, se battre pour se sentir légitime et accéder à la reconnaissance du milieu de l’art-, l’artiste en a donc déjà affronté beaucoup et se sent désormais prête à concrétiser son rêve de jardin de sculptures.
Elle est à la recherche d’un terrain où l’implanter. Marella Caraciollo, héritière d’une grande famille de la noblesse italienne et épouse du patron de l’empire Fiat Gianni Agnelli, lui présente alors ses frères, Carlo et Nicola, respectivement éditeur et journaliste. Le projet de Niki de Saint-Phalle enthousiasme les deux hommes, qui acceptent de céder à l’artiste deux hectares de leurs terres, situés sur la commune de Garavicchio, en Toscane. C’est donc là que débutent en 1978 les travaux qui devaient conduire à la création du Jardin des Tarots.
Après quelques hésitations –jardin des Dieux ? Jardins de toutes les religions ?-, Niki de Saint-Phalle, férue de sciences occultes et tireuse de cartes elle-même, décide de consacrer son jardin aux vingt-deux arcanes majeures du tarot de Marseille : le Magicien, la Papesse, l’Impératrice, l’Empereur, le Pape, l’Amoureux (rebaptisé le Choix), le Charriot, le Monde, le Diable, la Mort, le Fou, le Pendu, la Justice, l’Ermite, le Fou, la Force, la Lune, l’Etoile, le Soleil, la Tour, le Monde et le Jugement. Les cartes deviennent autant de sculptures, qui forment un parcours philosophique.
Le chantier relève lui en revanche plutôt du parcours du combattant. Entièrement auto-financé par l’artiste, celle-ci doit remuer ciel et terre pour trouver les fonds nécessaires pour poursuivre les travaux et assurer les salaires de l’équipe qui l’entoure. Car le Jardin des Tarots est avant tout une aventure collective, que Niki de Saint-Phalle comparera par la suite à l’édification des cathédrales qu’elle aime tant. Les miroirs, verroteries et céramiques que l’on retrouve un peu partout sur les corps de béton armé des sculptures nécessitent en effet l’intervention de praticiens spécialisés, dont certains seront formés sur place.
L’utilisation de ces matériaux, qu’il faut ensuite fixer durablement sur le béton, soulève des questions techniques complexes, auxquelles viennent s’ajouter bientôt les soucis de santé de l’artiste, dont les articulations se retrouvent paralysées par des crises d’arthrite rhumatoïde.
Le Jardin ouvrira finalement ses portes au public en 1997, dix-neuf ans après le début du chantier. Par son ampleur et sa dimension spirituelle, il se distingue des précédents ensembles sculptés ou des sculptures-habitacles que l’artiste a pu créer par le passé, comme la Hon[1] , le Rêve de l’Oiseau[2] ou encore le Dragon[3] . Bien que le thème du jardin ait été un thème préexistant et non une création, elle en propose une version totalement personnelle, en associant à leur symbolisme traditionnel les figures de son œuvre : la Tempérance et la Mort prennent la forme de ses célèbres Nana ; le Pendu, l’Ermite et le Fou celle des sculptures de la série des Skinnies, sur laquelle elle travaille au même moment.
Jean Tinguely, son époux et complice, avec lequel elle a déjà collaboré par le passé, est à nouveau présent, à travers l’assemblage de roues mécaniques représentant la Roue de la Fortune ou encore avec l’Injustice, dont les formes menaçantes sont enfermées pour toujours dans une cavité aménagée dans la Justice de Niki de Saint-Phalle.
Des sculptures ne correspondant à aucune carte sont également à signaler, parmi lesquelles l’Arbre de Vie ou le Chat –hommage à l’assistant de l’artiste Ricardo Menon, mort du Sida en 1989-.
L’ensemble est dominé par la figure de l’Impératrice, sculpture-habitat dans laquelle l’artiste aménagera le studio où elle vit et travaille lorsqu’elle est présente sur le chantier.
Plusieurs sculptures de tailles plus modestes, comme le Chariot, sont visibles à l’intérieur, rappelant la grande diversité d’échelle des œuvres du jardin.
Le Jardin des Tarots est considéré à juste titre comme l’œuvre majeure de Niki de Saint-Phalle, représentant l’aboutissement de son parcours artistique. Il ne s’agit cependant ni de sa dernière œuvre, ni de son unique ensemble de sculptures en extérieur, comme le prouveront par la suite le gigantesque lézard Gila ou encore le Queen Califia Magic Circle[4], situés tous deux en Californie, où l’artiste terminera sa vie. Autant de preuves du talent, de la détermination et de la force de travail de celle qui toute sa vie aura eu la folie de vouloir déplacer les montagnes.
Justine Veillard.
Pour aller plus loin :
Site internet du Jardin des Tarots : http://ilgiardinodeitarocchi.it/fr/
Catherine Francblin, Niki de Saint-Phalle, la révolte à l’œuvre, Paris, Hazan, 2013
[1] https://nikidesaintphalle.org/50-years-since-hon/
[2] https://www.youtube.com/watch?v=bQH-ALqPk7w
[3] https://www.youtube.com/watch?v=5vckw0_nL_k
[4] https://www.escondido.org/queen-califias-magical-circle.aspx
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