Exposition « Gordon Matta-Clark Anarchitecte »

Le Musée du Jeu de Paume à Paris consacre du 5 juin au 23 septembre 2018 une rétrospective de l'oeuvre de Robert Matta-Clark. Si la vie de cet « anarchitecte » fût brève – il mourut à 35 ans des suites d'un cancer- elle fût bien remplie et c'est une approche singulière et multiforme de l'architecture qu'une poignée d'Archiconstructeurs a pu découvrir.

Fils du peintre chilien Roberto Matta et de la designer américaine Anne Clark, Gordon Matta-Clark est élevé par cette dernière entre New-York et l'Amérique du sud. Diplômé en architecture en 1968, il s'oriente vers des recherches formelles et stylistiques qui le rapprochent de l'avant-garde artistique d'alors : Gordon Matta-Clark utilise en effet l'architecture comme un moyen, comme d'autres artistes utilisent au même moment la peinture, la vidéo ou la performance. Ses interventions sur les bâtiments lui permettent moins de bâtir quelque chose que d'exprimer une vision du monde et du rôle que l'architecture doit y jouer.

L'exposition s'ouvre sur la série Walls (Murs), datée de 1972. Cette série de photographies a pour sujet les murs d'immeubles abandonnés du Bronx. Les intérieurs étant devenus extérieurs, on peut voir les vestiges des pièces anciennement habitées, les peintures, les papiers peints... Autant d'éléments qui rappellent les efforts des propriétaires pour s'approprier son lieu de vie. L'artiste leur rend hommage, par la série de photographies mais surtout par l'installation qui en découle : Gordon Matta-Clark va en effet imprimer ses photos, les coloriser à la main et les assembler en un gigantesque papier peint collectif. Le public de la galerie où il expose l’œuvre est invité à repartir avec un fragment, et à l'accrocher au mur, chez lui.

Gordon Matta-Clark, Walls, impressions colorisées à la main, 1972

Les interventions de l'artiste au sein de bâtiments vont prendre la plupart du temps la forme de découpes géométriques, destinées à redessiner l'espace, le magnifier ou exposer ce qui était jusqu'alors caché. Gordon Matta-Clark va ainsi sculpter les planchers des immeubles abandonnés du Bronx, zone en pleine déshérence dans les années 1970 (Bronx Floors, 1972-1973), créer un véritable tunnel visuel dans un immeuble français du XVIIe siècle promis à la destruction par le chantier du futur Centre Pompidou (Conical Intersect, 1975) ou façonner un « temple de soleil et d'eau » en pratiquant une gigantesque découpe dans un entrepôt abandonné de Manhattan (Day's end, 1974).

Gordon Matta-Clark, Bronx Floors, photographies, 1972-73

Gordon Matta-Clark, Day's End, vue de l'extérieur et de l'intérieur, photographies, 1974

L'artiste va également s'intéresser aux espaces architecturaux souterrains, en explorant et photographiant nombre d'entre eux -cryptes, catacombes, caves- et en créant, à partir de ces images des compositions visuelles qui rendent compte de la stratification à la fois des bâtiments et de l'espace urbain dans son ensemble. L'idée derrière ces travaux est de relier le bâti visible à l'espace souterrain, une idée qu'il va également explorer à travers une série de performances où il creuse le sol. L'une d'entre elles, documentées par des photographies présentées dans l'exposition, sera par ailleurs un hommage au frère jumeau de l'artiste, Sebastian dit « Batan ».

Le travail de Gordon Matta-Clark n'est en effet jamais coupé de sa vie ni de ses préoccupations sociales. A travers le groupe Anarchitecture, qu'il fonde en 1973, il rechercha en permanence à subvertir l'architecture et l'ouvrir sur des perspectives nouvelles, en s'intéressant, par exemple, au graffiti comme forme d'art participant à l'architecture et l'histoire d'un bâtiment, et non comme simple acte de vandalisme. L'exposition du Jeu de Paume en rend très bien compte et constitue une introduction accessible à l’œuvre de cet artiste à (re)découvrir.

Justine Veillard